Ceci est le compte-rendu d'une séance de groupe de parole
Soudain, c’est comme si dans le ciel une ombre planait. Tout là-haut, l’oiseau-guide, un cygne, lui renvoie le reflet de ce vers quoi son âme tend, en survolant un espace quasi inaccessible et qu’elle entrevoit pourtant. Il appelle de cet étrange cri qui exige et déchire en montrant une direction.
Tout en bas, c’est l’enfant qui se roule sur elle-même et pleure, blottie dans son fauteuil. Elle tremble de la crainte irraisonnée de ne plus être acceptée. Les vannes qui abritent une ancienne peur soudain cèdent et c’est comme une gigantesque fleur d’eau qui prend toute la place à l’intérieur et lui fait craindre la perte irréversible de son minimum vital d’amour : s’il advenait que, devenue trop différente, on la regarde comme une étrangère ; s’il advenait que refuser tout espoir d’ascension soit le prix à payer pour écarter cette éventualité.
Elle s’enroule dans sa peine. Elle se ferme en s’accrochant au souvenir des quelques gestes qui la rendent aimable pour celle qui lui est chère, sa mère. Tout à coup, s’impose l’impossibilité d’imaginer de vivre dans ces deux mondes en même temps, et se superpose l’insupportable idée d’être obligée de choisir. Elle pleure sa peur d’être écartée du nid, elle sanglote la décision qu’elle croit devoir prendre à l’instant de se refuser tout accès et d’être écartée du chemin qui mène vers les grands espaces. Elle rêve de prendre son envol et son autonomie et ne peut encore se résoudre à dénouer les liens qui la retiennent.
Ce qui vrille le cœur, c’est l’idée de se sentir étrangère chez les siens. Ce qui tenaille, c’est se sentir étrangère chez les autres, ceux qui cheminent. Ce qui déchire, c’est devoir faire un choix entre les mondes connu et inconnu comme s’ils étaient à l’extérieur. L’identification à l’émotion est totale. Le mental a bien joué son rôle une fois de plus. L’ego triomphe en recouvrant tout espoir du noir manteau de la peur qu’aucune lumière ne peut plus raisonner.
LE REFUS
« Si je ne suis pas conforme à ce que les miens, qui disent m’aimer, attendent de moi, je risque d’être rejetée, mon cœur d’enfant déjà égratigné risque de se déchirer. JE refuse. »
« Si je n’accepte pas cette invitation quasi irrésistible qui m’appelle sur une voie parallèle, mon âme d’adulte risque de se déchirer. JE refuse. »
Du refus surgit un espace de no man’s land infranchissable. Le cheval fou de notre ego, habitué à son jockey « le mental » ne peut se résoudre à comprendre ni à laisser sa place à notre âme qui aimerait tant, elle aussi, avoir son mot à dire dans la conduite de la monture. Du changement ? Quelle horreur ! Les alarmes sont au rouge, les drapeaux de l’insécurité s’agitent en tous sens. La punition des mal aimés serait-elle de l’être moins encore ? La monture, s’arrête brutalement devant le grand trou noir, écumant de rage et d’impatience, ses muscles fument et se contractent : « Et si je saute, y aura-t-il de l’avoine de l’autre côté ? » se demande-t-il apeuré, ne sachant plus qui le dirige ni vers où se diriger. Et il reste là, à trembler, tétanisé, implorant une voix douce et puissante sachant enfin le diriger.
Ecartelée entre la palpable présence du passé et la menace du futur qui pourrait bien ressembler au passé. N’est-ce pas ce que lui chuchote l’enfant-gardien qui se tient toujours dressé en vigie au bord de la blessure d’antan, là où il s’est retrouvé abandonné, un jour lointain sur le bord d’un chemin.
Et, sur la ligne de vie, tout à coup, il y a ce trou béant à la place du présent. L’enfant-gardien parle de sa voix criarde d’un temps révolu, comme si demain pouvait être hier, comme s’il était inconcevable que demain ne duplique pas hier. Il mélange tout. Il entraine l’adulte vers hier, lui montre le danger connu, l’horreur qui en a résulté, et l’adulte plonge dans l’univers émotionnel de l’enfant, oublieux de son propre pouvoir d’adulte qui a déjà victorieusement dépassé tant d’expériences difficiles. Dans la mélasse émotionnelle où il est retombé, il en oublie le pouvoir qu’il a d’aller chercher, consoler, sécuriser, aimer et réintégrer l’enfant-gardien dans le puzzle incomplet de son émotionnel d’adulte.
SE LIBERER DU CONNU
Se libérer du connu insatisfaisant pour affronter un inconnu plein de promesses peut s’avérer bizarrement très angoissant. Le mental ne veut pas de changement, il veut continuer à agir dans ce pourquoi il excelle : la survie. Et, sans la peur, y aurait-il besoin encore d’agir dans la survie ? Sans la peur, ne voilà-t-il pas que le mental deviendrait inutile, et peut-être même obsolète ?
C’est donc pour sa propre survie que le mental s’empresse de sortir du passé de l’adulte des figurines de guignols grimaçants pour les agiter devant son nez, le menaçant, lui murmurant que c’est celles-là mêmes, selon le modèle, qu’il rencontrera dans le futur, c’est sur. Et à force d’agiter les peurs du passé pour les faire s’installer dans l’imaginaire du futur, il efface tout bonnement la possibilité d’accéder au présent. C’est un tour de passe-passe étonnant. Car non seulement vivons-nous avec nos mémoires du passé, mais en plus nous fabriquons des mémoires presque à l’identiques d’un futur que nous ramenons en boucles au présent – sans même prendre la peine de les vérifier - et qui obstruent bien évidemment tous nos sens à saisir les possibilités de la réalité du moment présent…
Entre nous et notre perception d’un présent, il y a cet écran où se meuvent les fantômes menaçants d’hier et de demain, tous inventés et réinventés continuellement, recouvrant le réel, obstruant complètement la captation des nouvelles informations qui fourmillent autour de nous.
Encore faudrait-il être réceptif à la beauté du monde qui nous entoure. Accueillir les différences plutôt que de n’y toujours remarquer que les similitudes. Avoir le courage et se donner la joie d’émettre une intentionnalité de rencontrer ce qui est bon pour nous, même si c’est différent, et pourtant, à portée de main pour les cœurs vaillants. Encore faudrait-il la tendre cette main, et sans crainte. Retrouver un imaginaire créatif nous permettant d’accepter la nouveauté pour enfin la percevoir et se l’approprier. Encore faudrait-il réapprendre à être présent, comme le tout petit enfant qui apprend le monde en arrivant et qui n’est pas encore trop endommagé par les craintes des grands.
C’EST QUOI : ETRE PRESENT
Etre présent, revenir à soi, retrouver ses sens dans l’instant présent. Etre vigilant. Ne plus se perdre dans l’hypothétique scénario projeté dans le futur de ce qui ressemble à la blessure première tirée du passé, et qui risquerait de se reproduire, engrillagés que nous sommes à l’intérieur du modèle dont nous nous dépêtrons si difficilement.
Retourner à notre respiration, aux perceptions que nous avons de notre corps, à chaque seconde changeantes. Retourner à notre ressenti, l’écouter et accepter sans plus les interférences de notre mental qui a toujours un commentaire, un jugement ou une crainte à propos justement de ce que nous ressentons. Retourner dans la vastitude de notre espace intérieur qui paradoxalement comprend, englobe, le monde extérieur, puisque, n’est-il pas dit qu’il en est le créateur.
Dans ce groupe que nous formons, nous sommes tous en arrêt devant le retrait désespéré de celle qui veut bien partager sa souffrance, nous offrir son dilemme. De part la magie d’être ensemble, à l’écoute, sans jugement, et sous la pressante question va s’offrir une réponse quasi miraculeuse.
Comme descendant d’un nuage, la fée Clochette s’approche de celle qui pleure et prend la mesure du vêtement de sa peine pour précisément lui offrir une robe d’amour-velours sonore qui saura la ramener au temps présent. Puis elle se rassoit, sourit au travers de ses larmes compassionnelles, se concentre, cherche le souffle de son inspiration : elle va chanter le remède, puisque c’est dans le chant qu’elle apporte la guérison, et en quelques notes, elle nous plonge dans … le tout de suite maintenant, miraculeusement.
Elle a ce don de faire déferler les gouttelettes fraiches de son chant sur nos âmes froissées. Nous l’écoutons, les yeux fermés, pour ressentir encore davantage le parfum de maintenant. Nous l’écoutons, étonnés, et nous sentons avec ravissement des frissons parcourir nos corps d’ondes énergisantes. Les pores de notre peau s’ouvrent à la déferlante et se tendent pour recevoir ce qui est offert. Sur l’écran de nos paupières fermées se dessinent puis s’estompent sans doute des paysages, des couleurs, des géométries, des espaces particuliers au monde intérieur de chacun.
Qui peut décrire les formes engendrées par les sons ? Le goût particulier de chaque note de musique qui roule à l’intérieur de notre gorge après avoir franchi le seuil de nos lèvres entr’ouvertes sur ce bonbon de guérison. Son goût va galoper dans chacune des cellules de notre corps. Une géométrie céleste s’installe. Nos cellules tourbillonnantes affectées d’émotions diverses et chaotiques sont comme du sable qui se nivelle dans un cadre de métal. Les sons de sa voix les lissent d’abord puis, ordonne une perfection géométrique et esthétique qui nous rassemble, qui ouvre les portes de la vastitude d’un monde dans lequel nous pouvons plonger et trouver quelque repos tous ensemble. Là enfin, l’on peut se jouer du temps en l’étirant, langoureusement, dans un présent que tous nos sens peuvent enfin capter.
LA GUERISON
Peu à peu, nos cœurs assoiffés s’ouvrent à cette réalité hors du temps qui est pourtant le miracle de notre présent. Cette réalité indicible trace un chemin et nous entraîne dans le sillage de cette musique quasi céleste. Les notes pleuvent sur les tristesses brûlantes et la brume qui s’en échappe s’envole vers le haut retrouver l’oiseau-guide, le cygne. Nous goûtons à l’ineffable candeur de l’émerveillement et du partage.
Pour un instant d’éternité, nous n’avons plus été séparés. A l’écoute du chant qui nous enrobait d’un drap de soie lumineux et mouvant, transcendant nos petites misères humaines, nous avons atteint un espace bien plus vaste qui ennoblit et nous montre une facette de nous-même à laquelle nous aspirons tous de toutes nos forces. Cette facette est la même en résonnance chez chacun d’entre nous. C’est celle qui nous unit, celle qui efface la peur, celle qui nous autorise à espérer comprendre comment faire partie de l’UN, celle qui nous donne un avant-goût de LA PRESENCE.
Subjugués, nous prenons conscience que Celle qui s’est matérialisée en fée Clochette est en train de se souvenir de là où elle vient. Son royaume est bien au-delà de l’imaginable. Elle semble toute proche du cristal et sa fragilité est une force pure qui nous fait du bien, qui nous rend meilleur. Qu’elle en soit remerciée
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